Saint Martin : figure emblématique du partage, pas du gavage !

Tout au long du mois de novembre, une campagne publicitaire intensive en direction des consommateurs les incitera à consommer du fois gras dès l’automne. Ce sera la face la plus visible d’une vaste stratégie commerciale lancée il y a deux ans. La filière du foie gras utilise la figure de saint Martin et invoque une obscure tradition pour mieux vendre le foie stéatosé d’oiseaux suralimentés de force. L214 (campagne Stop Gavage) a alerté par une lettre ouverte l’épiscopat français sur cet état de fait.

Le saviez-vous ? Saint Martin est le saint patron du foie gras. Mangeait-il du foie gras ? Non, pas que l’on sache. Fut-il choisi comme protecteur en des temps anciens où religion et vie quotidienne étaient étroitement mêlés ? Non plus. En fait, Saint Martin a été réquisitionné pour occuper ce poste en 2009, par décision des services marketing de la filière du foie gras.

Comment vendre plus, en gavant plus, pour gagner plus ?

La filière du foie gras cherche de longue date le moyen d’étendre la période de consommation au-delà des fêtes de fin d’année. En 2009, elle fabrique une tradition du foie gras de la Saint-Martin pour mieux y parvenir1. Foie Gras Info, le bulletin du CIFOG (interprofession du foie gras) est très clair sur les objectifs visés :

« le CIFOG a choisi d’investir sur plusieurs années autour d’une action évènementielle, destinée à lancer la Fête du Foie Gras à la Saint-Martin, le 11 novembre2. »

« [….] cette action évènementielle doit être de nature à convaincre les distributeurs, restaurateurs et consommateurs de déguster le foie gras dès la mi-novembre. Les mesures de panel ont montré clairement que si le foie gras est en rayon, il est acheté. Cette action événementielle qui s’inscrit dans la durée (objectif sur 5 ans), doit progressivement devenir le point de départ de la saison et s’inscrire dans le calendrier de la distribution3. »

Enrobage tradition

gavage en cage individuelle

Pendant que les salles de gavage industriel tournent à plein, les services de communication brodent sur le thème de la résurrection d’une tradition paysanne séculaire. Quant à saint Martin, il se trouve enrôlé dans l’entreprise par le biais d’un épisode de sa vie qui le relie aux oies (on dit qu’il lui arriva de se cacher dans un troupeau d’oies pour échapper à ses poursuivants), ce qui permet au passage de mentionner l’acte de charité qui fait sa notoriété et de s’en servir sans vergogne pour encourager la consommation de foie gras. Comme dans ce spot publicitaire audio consacré à « la grande tradition » des tartines de foie gras qui se termine ainsi :

« Saint Martin était un saint connu pour le partage de sa cape avec un mendiant et c’est une valeur qui nous est chère, la valeur de partage, et effectivement ces tartines de foie gras sont faites pour être partagées entre amis à l’apéritif ou à un dîner qui sera festif. »

Lettre ouverte à l’épiscopat français

L214 a adressé une lettre ouverte aux évêques de France.

« Martin a donné le peu qu’il possédait pour sauver la vie d’un homme transi de froid. Aujourd’hui, une industrie se sert de sa mémoire pour mieux vendre les foies d’oiseaux malades dont elle détruit délibérément la santé et la vie. Nous avons écrit aux évêques pour les alerter sur cette instrumentalisation de la figure de saint Martin. » déclare Sébastien Arsac porte-parole de L214.

Lire la lettre aux évêques
Lire la lettre au pape Benoît XVI

Les stratégies marketing nous font avaler n’importe quoi, même le pur produit de la souffrance, du moment que c’est estampillé fête, terroir et tradition. Qui parmi les clercs ou les laïcs se lèvera pour les contrer ?


1. L’idée est dans les cartons depuis 2003. Elle germe alors qu’ont déjà été lancées des campagnes destinées à promouvoir la consommation de foie gras à la Saint-Valentin et à Pâques.
2. Foie Gras Info, n° 97 Juillet-Août-Septembre 2009, page 1.
3. Foie Gras Info, n° 97, p. 5.