Conférence à l'Institut d'Études Politiques (Science Po) de Lyon

MERCREDIS DE L'IEP
Éthique et alimentation
Conférence-débat
Mercredi 9 mars 2005, 18h-20h
Grand Amphi de l'IEP, rue Appleton, Lyon 7e
Entrée libre

Peut-on interdire un aliment au nom
des intérêts des animaux ?

C'est de la légitimité de principe d'une telle interdiction que vous invitent à débattre Antoine Comiti, coordinateur de l'Initiative citoyenne pour l'abolition du gavage, et David Olivier, fondateur de la revue Les Cahiers antispécistes.

Une doctrine politique déjà ancienne veut que « l'individu n'a pas de compte à rendre à la société pour ses actes, tant que ceux-ci ne concernent les intérêts d'aucune autre personne que lui-même » (J.S. Mill, On Liberty, 1869). Un exemple privilégié d'un tel « domaine réservé » est celui de la nourriture : « chacun mange ce qu'il veut », dit-on. L'idée d'une limite à la liberté individuelle dans ce domaine renvoie à des images d'intolérance, de volonté des uns d'imposer leur éthique, voire leur religion, aux autres.

Pourtant, ces dernières années un nombre croissant d'États interdisent, au nom de l'éthique, la production et même la consommation d'un certain aliment ; et ceci parmi les pays qui se réclament de la liberté individuelle. Cet aliment est le foie gras, dont la production nécessite la suralimentation forcée (gavage) des canards et des oies. En Italie, le gavage est interdit depuis 2004 ; en Israël, depuis début 2005 ; en Californie la production et la vente seront interdites en 2012. Dans l'ensemble des pays du Conseil de l'Europe, le gavage n'est autorisé que là où il était pratiqué avant 1999. Par ailleurs, les obligations découlant des textes de l'Union Européenne sur le bien-être animal menacent d'interdire la production de foie gras jusqu'en France, premier producteur et consommateur mondial. « L'Europe des commissaires de Bruxelles, c'est l'Europe […qui veut…] interdire le foie gras et certains de nos fromages » (Philippe de Villiers). Mais selon l'Initiative citoyenne pour l'abolition du gavage lancée en France en 2003, la production du foie gras y est déjà illégale en vertu des lois françaises de protection des animaux.

Si ces législations restreignent notre liberté, ce n'est ni au nom de notre propre protection ni de celle des autres membres – humains – de la société, mais au nom des intérêts des canards et des oies. Cela semble signifier que d'ors et déjà les intérêts de ceux-ci sont opposables aux intérêts humains ; que vis-à-vis de l'individu humain, un animal est à compter comme une « autre personne que lui-même », pour reprendre les termes de J.S. Mill, fût-ce comme une personne de rang inférieur.

Les conséquences d'une telle évolution peuvent paraître vastes. En effet, dès lors que l'on accepte que l'alimentation doit être, autant que n'importe quelle autre pratique humaine, soumise à des exigences éthiques, et donc en définitive législatives, et que ces exigences concernent aussi le sort des non-humains, la légitimité de la consommation du foie gras, et d'autres aliments encore, devient potentiellement sujet à débat.

Il paraît cependant difficile de rejeter ces conclusions dans leur principe, en raison de l'évolution des mentalités et des législations, de plus en plus ouvertes à la notion d'être sensible, par opposition au seul être raisonnable, tant pour les humains que pour les animaux – cf. par exemple l'affirmation des « exigences du bien-être des animaux en tant qu'êtres sensibles » dans le projet de Constitution européenne. Il semble dès lors impossible de ne pas reconnaître qu'à moins de tolérer que nous nous comportions avec une barbarie sans limites envers les animaux, il y a des limites à la souffrance que l'on peut infliger à un être sensible quel qu'il soit pour consommer ses organes.


Compléments :