Débat sur la légitimité du gavage au Sénat (11/2005)

La question de la légitimité du gavage a été abordée en séance publique au Sénat le 10 novembre 2005 dans le cadre de la discussion de la loi d'orientation agricole.

Cette discussion fait suite à l'adoption d'un amendement « foie gras » (cliquer ici pour nos commentaires à ce sujet). L'amendement a été adopté par le Sénat.

Le sénateur Jean Desessard a exprimé la position des sénateurs opposés à cet amendement :
« Le foie gras, et les méthodes de production qui lui sont associées, ne constituent en rien un patrimoine dont la France puisse s'enorgueillir… Pourquoi introduire une publicité pour le foie gras dans la loi ? Sans doute parce que la législation européenne commence à se pencher de plus près sur la protection animale et, en l'occurrence sur les lésions, souffrances et angoisses que provoque le gavage chez les canards… Certes le foie gras s'exporte bien et il est apprécié des touristes. Mais nous sommes au XXIe siècle et l'homme se préoccupe désormais du bien- être animal. Or 80 % des canards sont élevés en batterie : rien à voir avec les méthodes artisanales, elles-mêmes déjà assez cruelles…
Certains diront que la protection animale n'est pas une priorité mais, outre notre refus d'introduire dans la loi un article si saugrenu, nous voulons inciter à ouvrir le débat, pour amener toutes les filières d'élevage à passer le cap du XXIe siècle.
 »

Le compte-rendu intégral de ce débat, tel qu'il a été publié par le Sénat, est reproduit ci-dessous.

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Après l'article L.654-27 du Code rural, il est inséré un article L.654-27-1 ainsi rédigé :

Le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras, le foie d'un canard ou d'une oie spécialement engraissé par gavage.

M. DE MONTESQUIOU. – Monsieur le Ministre, d'abord merci d'avoir accepté un amendement qui protège le gavage d'oie, vous sécurisez ainsi notre patrimoine gustatif mais aussi l'avenir économique de 200 familles du Gers.

Le foie gras fait partie de la Gascogne, comment imaginer qu'il disparaisse ? La Pologne et Israël l'ont interdit, je me réjouis que nous anticipions toute initiative de Bruxelles, en tenant prêts nos arguments !

Le gouvernement respecte sa parole, en tenant le rendez-vous fixé par votre prédécesseur, et vous avez créé un groupe de travail où j'ai l'honneur de représenter le Gers. Vous avez commandé le rapport « Foie gras et patrimoine culinaire français, foie gras et bien-être animal », publié en juillet dernier.

Nous devons préserver nos marchés au gras. Dans le Gers, les villes d'Eauze, Fleurance, Gimont, Samatan, Seissan sont concernées par la nouvelle réglementation européenne dite du « paquet hygiène » pour la mise en marché de produits crus.

Elle sera applicable à compter du 1er janvier 2006. Pouvez-vous faire inscrire que les produits issus des abattages agréés et transitant par les marchés au gras peuvent, à l'issue de l'inspection post mortem assurée par la direction de la surveillance vétérinaire (D.S.V.), intégrer la filière longue ?

Les producteurs souhaitent voir indiquée sur les cartes de restaurant la provenance du foie gras. Le consommateur ne doit pas être trompé sur la qualité, au risque de se détourner de ce mets. Si vous partagez cette préoccupation, dans quels délais cette mention pourrait- elle enfin être obligatoire ?

M. LE PRÉSIDENT. – Amendement no 720, présenté par M. Desessard, Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet : Supprimer cet article.

M. DESESSARD. – Le foie gras, et les méthodes de production qui lui sont associées, ne constituent en rien un patrimoine dont la France puisse s'enorgueillir.

Je constate que, une fois de plus, le législateur a cédé à un lobby. (Protestations à droite.)

M. REVET. – À ses électeurs !

M. DESESSARD. – Par amendement, est apparu soudain dans la loi, comme une page de publicité, un article qui vante un produit français. Pourquoi celui-là et pas un autre ? Pourquoi ne pas inscrire dans la loi les mérites du jambon de Bayonne, du nougat de Montélimar, de la bêtise de Cambrai – bien qu'elle soit partagée bien au-delà… – ou du savon de Marseille ? Pourquoi introduire une publicité pour le foie gras dans la loi ?

Sans doute parce que la législation européenne commence à se pencher de plus près sur la protection animale et, en l'occurrence sur les lésions, souffrances et angoisses que provoque le gavage chez les canards. Aux demandes de la Commission européenne – car c'est d'elle qu'il s'agit – la France oppose une fin de non-recevoir, au motif que le foie gras ferait partie de son patrimoine culturel, au même titre que la tour Eiffel !

Certes le foie gras s'exporte bien et il est apprécié des touristes. Mais nous sommes au XXIe siècle et l'homme se préoccupe désormais du bien- être animal. Or 80 % des canards sont élevés en batterie : rien à voir avec les méthodes artisanales, elles-mêmes déjà assez cruelles…

Certains diront que la protection animale n'est pas une priorité mais, outre notre refus d'introduire dans la loi un article si saugrenu, nous voulons inciter à ouvrir le débat, pour amener toutes les filières d'élevage à passer le cap du XXIe siècle.

M. DE MONTESQUIOU. – Il nous gave : il n'a qu'à être végétarien !

M. DESESSARD. – Faut-il interdire la production du foie gras ? Ce n'est pas l'objet de mon amendement. Son but c'est d'empêcher qu'on mette dans la loi une pratique que, ainsi, on légitime, alors que certains citoyens la refusent. Nous n'en demandons pas l'interdiction, nous refusons que la représentation nationale la cautionne. La loi n'a pas vocation à multiplier les pages de publicité pour les différents produits français.

M. CÉSAR, rapporteur. – Il faut absolument conforter la filière du foie gras, élément de notre patrimoine culturel, gastronomique et économique.  de Montesquiou l'a défendu avec talent. Je n'ai rien à ajouter, sinon qu'il n'existe pas d'alternative à la pratique du gavage traditionnel. Le foie gras, c'est notre culture !

M. BUSSEREAU, ministre de l'Agriculture. – Difficile d'intervenir après de telles paroles… À l'Assemblée nationale, le gouvernement s'en est remis à la sagesse des députés. Non que je partage l'appréciation que porte  Desessard sur le foie gras, mais cet article n'a pas sa place dans la loi.

M. DESESSARD. – Voilà !

M. BUSSEREAU, ministre de l'Agriculture. – Ici aussi, sagesse !

M. MORTEMOUSQUE. – Le foie gras fait partie de notre patrimoine : c'est évident ! Je suis périgourdin et je n'accepte pas qu'on ose dire que l'Assemblée nationale s'est trompée. C'est le gavage qu'elle a voulu conforter. Les producteurs cherchent la solution la meilleure, mais il ne peut y avoir de foie gras sans gavage : cela n'existe pas ! Les députés ont voté cet article à l'unanimité. Le monde agricole a suffisamment de handicaps pour ne pas en rajouter ! M. Desessard devrait avoir le bon goût de retirer son amendement.

M. CHARASSE. – Je voterai l'amendement car cet article tombe sous le coup de ce qu'ont dénoncé le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État : la loi bavarde. Cet article comporte deux parties. La première énonce que le foie gras fait partie de notre patrimoine : c'est une déclaration d'intention ! La seconde est une disposition réglementaire pure et simple.

Je voterai donc l'amendement pour cette raison, mais, sur le fond, je ne partage pas du tout l'avis de M. Desessard. Veut-il fabriquer nos produits à la manière du Canada Dry qui imite l'alcool sans contenir d'alcool, à la manière de la sale bouffe industrielle et des saletés qu'on veut nous faire ingurgiter ? Je l'avoue humblement, quand je tue mon cochon, je le fais saigner, pour avoir du boudin. Sans cela, pas de boudin !

M. Desessard est un ami, il ne m'en voudra pas ; mais qu'il ne compte pas sur moi pour soutenir une de ces minorités farfelues qui ne connaissent rien aux valeurs profondes et aux traditions de ce pays. (Applaudissements à droite et au centre.)

M. DESESSARD. – Bien entendu, je maintiens mon amendement. Il fut un temps où la royauté était la tradition…

La loi a-t-elle vocation à faire de la publicité pour certains produits ? Et qu'est-ce qui empêche les producteurs de faire du foie gras sans que cela soit inscrit dans la loi ? Ou alors cela signifie-t-il que face à l'Union européenne ou à l'O.M.C., nous n'avons plus de marges de manœuvre ?

Il existe dans ce pays des citoyens qui attachent de l'importance au bien-être animal et qui refusent le gavage : c'est leur droit. En cautionnant cette pratique dans la loi, vous ne les respectez pas. L'amendement ne vise pas à interdire cette pratique, mais à la retirer de la loi.

M. Paul RAOULT. – Les eurocrates ont dans l'esprit d'uniformiser les produits alimentaires.

M. CHARASSE. – Vous avez vu leur mine ?

M. Paul RAOULT. – Ils s'en sont pris par exemple aux fromages au lait cru et il a fallu multiplier les pressions du ministre de l'Agriculture, des Producteurs…

M. REVET. –… et même du prince Charles d'Angleterre !

M. Paul RAOULT. –… pour qu'on n'interdise pas ces fromages.

Je voudrais dire à M. Desessard que c'est parce que le gavage est contesté qu'il faut l'inscrire dans la loi sinon les bons esprits de Bruxelles viendront nous interdire tout ce qui fait notre terroir.

L'amendement no720 n'est pas adopté [l'article stipulant que «  Le foie gras fait partie du patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. » est donc maintenu dans le projet de loi].