Quelques commentaires sur l'amendement « foie gras » (10/2005)

Les producteurs de foie gras, inquiets face au risque d'interdiction du gavage, ont obtenu des députés l'adoption d'un amendement à la loi d'orientation agricole déclarant que « Le foie gras fait partie d'un patrimoine culturel et gastronomique protégé en France. On entend par foie gras, le foie d'un canard ou d'une oie spécialement engraissé par gavage. »

Lors du débat à l'Assemblée le 17 octobre 2005, Jean Dionis du Séjour, député UDF du Lot-et-Garonne où 500 000 oiseaux sont gavés chaque année (le plus souvent en cages dans des élevages industriels) a exprimé avec candeur : « La machine infernale du bien-être animal est en marche et risque de démonter toutes nos traditions. Nous devons nous y opposer ! »

Ces élus pourront-ils longtemps rester sourds aux 78% des français qui accordent « beaucoup d'importance au bien-être animal » dans les élevages (sondage réalisé en 2004 par l'Institut Louis Harris et les chambres d'agriculture pour le magazine 60 millions de consommateurs).

De plus, comme le rappel Le Figaro du 19 octobre 2005 : « La LOA déclare le foie gras "patrimoine culturel français". "C'est un signal fort adressé à Bruxelles", ont défendu les orateurs. Un signal fort qui ne devrait pas empêcher la France de se faire épingler sur le chapitre du bien-être des animaux d'élevage. »

Que l'acte d'enfoncer un tube dans la gorge d'un animal encagé pour le suralimenter soit fièrement érigé en « patrimoine culturel » est vu avec beaucoup d'ironie depuis l'étranger (site de la télévision Aljazeera) :

A la suite de l'amendement "foie gras", un sénateur a déposé un amendement "truffe" qui, selon son auteur, « protégera ce produit unique, exceptionnel qu'est la truffe, champignon intimement lié à notre identité nationale ».

L'actualité générée par l'adoption de l'amendement "foie gras" a été l'occasion de rappeler la réalité endurée par les 30 millions de canards et d'oies gavés chaque année dans notre pays, comme dans cette interview d'un membre de Stop Gavage au journal de midi d'Europe 1, le 18 octobre 2005 :

En voici la transcription :

Luc Evrard : Le coup de sang de l'Assemblée Nationale à propos du foie gras. Hier soir, à l'unanimité, les députés ont voté un amendement qui fait du foie gras un élément du patrimoine culturel et gastronomique de la France. Cela n'a l'air de rien, mais c'est une riposte législative à tous ceux qui, au nom du bien-être des animaux, nous reprochent d'utiliser le gavage pour produire nos foie gras. Antoine Comiti, membre de l'association Stop Gavage est avec nous. Bonjour.

Antoine Comiti : Bonjour.

L.E. : Vous êtes donc vous hostile aux entonnoirs chargés de maïs qu'on cloue dans le bec de nos oies pour les engraisser artificiellement ? Vous êtes furieux de cette initiative parlementaire ?

A.C. : Oh non… Cela montre plutôt que les producteurs de foie gras sont inquiets du fait que les français prennent de plus en plus au sérieux le bien-être des animaux dans les élevages, que ce soit les poules pondeuses, les poulets, ou les canards et les oies utilisés pour le foie gras, et qu'ils sentent nécessaire de se protéger d'une manière ou d'une autre contre cette évolution de l'opinion.

L.E. : Alors on va voir si d'après vous c'est efficace comme protection. Mais pourquoi vous apitoyez-vous comme cela sur les animaux ? Est-ce que c'est barbare le gavage, est-ce que ça en dit long sur nous-mêmes ?

A.C. : D'abord les animaux sont comme nous, des êtres sensibles, ils ressentent ce qu'il leur arrive, ils peuvent souffrir, ressentir de l'anxiété, de la détresse, cela mérite que ce soit pris en compte. Et dans le cas du gavage, c'est effectivement une des formes de pratiques d'élevage les plus brutales puisqu'on leur enfonce un tube dans la gorge jusqu'à l'estomac pour leur propulser au fond de l'estomac une quantité de nourriture qu'ils n'ingéreraient jamais d'eux-mêmes naturellement. Au bout de quelques jours cela les rend malades, malades d'être suralimentés.

L.E. : Oui, c'est ce qui fait que les foies sont gras. À votre connaissance, est-ce qu'on peut faire du foie gras sans gaver les oies et les canards ? Parce qu'on peut être en sympathie avec ce que vous nous dites, mais on aime ça nous aussi le foie gras.

A.C. : Bien sûr qu'on peut faire des préparations qui ont un goût qui s'approcherait, qui pourrait pourquoi pas être meilleur que le foie gras, si des instituts comme l'INRA en France, où on a des spécialistes de la fabrication des aliments, des spécialistes du goût au plus haut niveau mondial, au pays de la gastronomie, bien sûr qu'on pourrait produire un mets qui serait bon sans avoir à faire du mal aux animaux et les gaver, bien évidemment. Simplement, les producteurs existants ne veulent pas entendre parler de méthodes alternatives puisque cela remet en cause leur position sur le marché. C'est une façon de se protéger, pour eux, contre des nouveaux producteurs, y compris français, qui produiraient du foie gras sans gavage.

L.E. : Est-ce que vous avez des recours, est-ce que vous avez l'impression que ce qu'a décidé le Parlement change quelque chose à la donne et à l'isolement relatif international de la France ?

A.C. : Cela ne change pas grand chose, c'est une déclaration simplement, cela n'a pas de valeur juridique particulière, de portée juridique. Il reste qu'il y a des lois en France et au niveau européen qui disent qu'on ne doit pas maltraiter les animaux, et le gavage est une forme de maltraitance. C'est donc simplement, pour la filière du foie gras, révélateur de la peur qu'ils ont de cette évolution de l'opinion, et des lois de protection des animaux.

L.E. : Merci, Antoine Comiti, je rappelle que vous êtes membre de l'association Stop Gavage.