Peut-on interdire un aliment au nom des intérêts des animaux ?

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Réponses aux questions posées par l'assistance



J'aimerais savoir si les vidéos sont disponibles sur un site ?

Antoine Comiti : Oui, la vidéo sur la production de foie gras que l’on a projetée aujourd’hui, et quelques autres, sont disponibles sur stop-foie-gras.com, d’où vous pouvez les télécharger directement et gratuitement.

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Avez-vous essayé de passer vos images à la télévision ?

Antoine Comiti : Oui, nous les avons proposées aux diverses chaînes de télévision. France 2, par exemple, en a passé des extraits au journal de 13 heures. Mais il est certain que c’est difficile de les faire passer. Plusieurs journalistes de télévision nous ont spontanément dit qu’après avoir vu la vidéo, ils avaient décidé d’arrêter de manger du foie gras, et que d’autres personnes de leur rédaction à qui ils ont montré les images ont dit qu’elles arrêtaient aussi, mais qu’ils ne peuvent pas passer ces images car elles sont trop dures pour la télévision. Télématin, par exemple, nous a dit qu’on ne pouvait pas passer ces images le matin parce que les gens se lèvent… Mais on nous a dit une chose similaire pour le journal de 20 heures, le moment du dîner… Et on nous a dit aussi que pendant les périodes des fêtes, ce n’était pas le moment de parler du foie gras de cette manière-là…

Tout cela s’explique de diverses manières, mais il y a en particulier la pression des annonceurs, même si celle-ci est généralement faite de manière assez implicite. Il est clair que si une chaîne de télévision – privée ou publique – passe trop de messages qui sont préjudiciables à ce que vendent les annonceurs qui la financent, la régie pub est là pour faire sentir qu’il faut modérer…

Pour un journal de 20 heures, au lieu de passer nos images, la rédaction a envoyé une équipe filmer des images de gavage dans la ferme d’un des dirigeants du CIFOG – en gros le lobby du foie gras. Cette ferme sert de « vitrine » à la profession. Son propriétaire est expérimenté en relations publiques. Lorsque les caméras sont là, le gavage se fait plus lentement, moins brutalement que ce qui se passe réellement dans les salles de gavage de la filière. La journaliste qui y a assisté nous a même informé qu’ils donnaient devant les caméras des doses plus faibles que celles données habituellement. Ainsi, les images qui en sortent paraissent moins dures que la réalité.

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Est-ce que les locaux des producteurs sont inspectés régulièrement pour voir s’ils suivent certains critères, certaines réglementations ?

Antoine Comiti : Il y a effectivement en France ce qu’on appelle les services vétérinaires, qui dépendent du Ministère de l'agriculture, et qui ont pour rôle de veiller à l'application des réglementations concernant les animaux, essentiellement pour les questions sanitaires et de sécurité alimentaire. Avec l’évolution des idées sur le statut de l'animal, les considérations de bien-être des animaux sont censées être de plus en plus prises en compte.

La pratique sur le terrain est globalement affligeante, dans le sens où les pratiques agricoles qui font souffrir les animaux sont des pratiques institutionnalisées, généralisées. Un inspecteur des services vétérinaires qui visite une salle de gavage voit bien que les animaux sont malades, il voit bien qu'ils ne sont pas bien, il constate des taux de mortalité aberrants. Mais c'est comme cela partout avec la production de foie gras.

C'est-à-dire que même si la responsabilité de cet éleveur – qui gave ses animaux en toute connaissance de cause – reste entière, ce n'est pas tant au niveau individuel d'un éleveur donné que le problème doit être résolu. C'est la pratique elle-même qui pose problème, pas tant la manière dont elle est réalisée ici ou là. C'est donc au niveau national et européen que cette pratique doit être interdite.

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Par rapport au problème de l'interdiction de la production du foie gras, il y a une autre question à laquelle il faut peut-être penser, qui conduira, si les choses évoluent, à les faire évoluer très lentement. Il s’agit des intérêts commerciaux qui sont liés à la fabrication du foie gras. On peut imaginer une levée de bouclier des producteurs, à laquelle vous avez déjà été confrontés, n’est-ce pas ?

Antoine Comiti : Dans notre démarche, il est clair que l'impact d'une interdiction du gavage sur le travail, et donc sur ce que vivent et ressentent les personnes qui travaillent dans cette filière, ne nous est pas indifférent. Nous disons que ce que ressentent les animaux compte et que leurs intérêts doivent être pris en considération. Il est clair que pour les mêmes raisons, nous pensons aussi que ce que ressentent les personnes qui travaillent dans cette filière, ainsi que leurs intérêts, doivent évidemment être pris en compte dans le processus d’interdiction du gavage.

Ces intérêts ne comptent pas d'une manière qui doit légitimer le fait de perpétuer cette pratique cruelle, puisque si c'était le cas, toutes les pratiques barbares qu'on a connues dans l'histoire de l'humanité seraient encore en vigueur aujourd'hui. Mais leurs intérêts comptent néanmoins, et doivent être pris en compte sérieusement.

A ce sujet, nous pensons que l'attitude de la filière du foie gras, tout comme celle du Ministère de l'agriculture, n'est pas à la hauteur de la situation. Face à l’inéluctable interdiction d'une pratique – inéluctable parce qu'il est impensable qu'une telle pratique puisse perdurer face aux évolutions de l'opinion – la filière comme le ministère continuent d'être sourds et muets sur la question de la préparation de la reconversion des personnes qui travaillent dans cette filière.

Il faut aussi se rappeler que l'image d'Epinal que la filière tente de nous faire avaler de la gaveuse d'antan, dans sa basse-cour, dont la tradition serait remise en cause, est très éloignée de la réalité de cette production aujourd'hui.

Ce que nous avons constaté au contraire en enquêtant dans cette filière, c'est que de nombreuses personnes qui y sont employées aujourd'hui font un travail qui ressemble beaucoup à un travail à la chaîne, que ce soit pour le gavage, dans les abattoirs, dans la préparation des produits, etc. A titre d’exemple, lorsque nous avons visité une salle de gavage d’une très grande marque de foie gras, la femme qui nous a accueilli, qui avait été embauchée pour effectuer le gavage, nous a dit avoir été formée sur le tas en seulement 2 semaines, et laissée ensuite à elle-même dans la salle de gavage. Beaucoup de ces personnes ne sont pas particulièrement attachées au foie gras en tant que tel.

De plus, beaucoup ont aussi à souffrir de conditions de travail difficiles, de faibles salaires et d'emplois précaires. L'industrie avicole, dont la filière foie gras fait partie, est une des industries où les troubles musculo-squelettiques sont les plus nombreux en France.

Tout cela pour dire que de nombreuses personnes qui travaillent dans la filière du foie gras ne sont pas particulièrement attachées au gavage, ni même au foie gras d'ailleurs. Elles sont surtout attachées, et on les comprend, à avoir de quoi faire vivre correctement leur famille. C'est pour cela que nous disons qu'il est de la responsabilité des dirigeants de cette filière, et des pouvoirs publics, de se préoccuper de l'avenir de ces personnes en anticipant lesquelles seront affectées, et de quelle manière, par l'inéluctable interdiction de la pratique du gavage, et de développer dès aujourd'hui les solutions pour ces adaptations nécessaires.

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Vous ne croyez pas que ce que l'on va vous opposer aussi, c'est la question de la culture traditionnelle, la cuisine traditionnelle ? Parce que cela est bien ancré dans la conscience collective, et c'est là-dessus qu'il faut faire un travail. Parce que le foie gras, c'est aussi une tradition.

Antoine Comiti : Il est certain que c'est un argument qui nous est souvent opposé, l'argument de la tradition. Maintenant, la question à se poser, c'est de savoir dans quelle mesure la tradition justifie quelque chose. Il est sûr qu’il s’agit d’une remise en cause d’une pratique existante. Mais il y a des tas de traditions barbares qui ont été remises en cause, et on ne les regrette pas. Et nous avons aussi un droit d'inventaire sur les traditions. La société, c'est la nôtre, c'est chacun de nous. On peut être d'accord ou pas avec des pratiques et vouloir remettre en cause celles qui nous semblent mauvaises. L'argument de la tradition me paraît un peu faible. Ce n'est pas un argument éthique.

De plus, je ne suis pas sûr que ce soit réellement, pour ceux qui expriment cet argument, la tradition en elle-même qui leur pose problème. C'est plutôt une insécurisation face à une perte de repères.

La tradition, c'est surtout quelque chose de rassurant, c'est ce que l'on connaît. « On sait ce que l'on perd, on ne sait pas ce que l'on gagne », comme on dit. Je pense que derrière l'idée que, dans le cas des animaux, on perd une tradition dans la manière dont on les traite, c'est surtout que cela amène à se poser des questions sur la place de l'homme par rapport aux animaux. Je pense que l'inquiétude qu'il y a, c'est qu’on se dit que si on se met à mieux traiter les animaux, d’une manière qui se rapproche de la manière dont on traite les autres hommes, est-ce que, de manière réciproque, cela ne veut pas dire que l'on risque de traiter les hommes comme on traite les animaux ? Si on diminue la frontière qu'il y a entre les deux – et la manière différente de traiter les deux en pratique est une manière très claire de maintenir cette séparation – on a le sentiment qu'on va affaiblir aussi ce qui nous protège de la barbarie. On se dit que les droits de l'homme, l'humanisme, c'est ce qui nous protège contre la barbarie. Si on diminue la frontière entre les hommes et les autres animaux, alors on perd une protection réelle.

La thèse que nous défendons ici, c'est que ce qui protège réellement un individu, c'est le fait que l'on prenne en compte ce qu'il ressent, que l'on pense que ce qui compte avant tout, ce n'est pas que l'on soit humain ou pas, que l'on soit extrêmement rationnel ou pas, que l'on soit intelligent ou pas, mais le fait que l'on ressente des choses, que l'on soit capable d'éprouver ce que l'on nous fait, et que l'on s'en sente mieux ou moins bien. Quand c'est cela qui devient primordial dans une société, primordial dans la manière dont on traite les hommes, primordial dans la manière dont les politiques sont faites, plus que les critères économiques ou autres, alors à ce moment-là, on a réellement une chance d'être protégé. Parce que finalement, ce que nous voulons, chacun d'entre nous, c'est ne pas souffrir et se sentir bien.

C'est exactement la même chose que ce que nous disons pour les animaux : ce qui compte, c'est ce qu'ils ressentent. Considérons que ce qui est ressenti, pour les hommes comme pour les animaux, c'est cela qui compte. Nous serons alors nous-mêmes, humains, bien mieux protégés que par l’idée – bien pauvre – que nous ne devons pas maltraiter les humains comme nous maltraitons aujourd’hui les autres animaux.

Tout cela pour dire que derrière l’argument de la tradition, on peut surtout voir la volonté de maintenir des pratiques qui symbolisent la frontière entre l'homme et l'animal, espérant ainsi – à tort – nous protéger de la barbarie qu’on inflige aux animaux avec ces mêmes pratiques.

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Dans votre exposé, pourquoi n'avez-vous pas intégré Peter Singer, qui reste quand même un pionnier de l'égalité animale, et des deux mouvements qu’il a aidé à faire émerger : un mouvement qui est resté sur la philosophie, et un mouvement assez radical de militants pour l'égalité animale.

Antoine Comiti : Je pense que beaucoup d’idées qui ont été présentées aujourd'hui sur l'importance de la sensibilité, sur le fait que le spécisme est une discrimination arbitraire entre les espèces, sont des idées qui ont été exprimées, souvent même développées par Peter Singer.

Quant au terme "radical", je pense qu’il est essentiellement dû au fait qu’en mettant en avant le critère de la sensibilité, Peter Singer remet aussi en cause le dogme de la dignité sacrée de l'homme.

Il y a en France une lecture de la pensée de Peter Singer qui déforme fortement ses propos. Quand il parle par exemple des nourrissons ou des personnes séniles, ou plus généralement d’individus qui ne sont pas capables de parler ou qui ont une intelligence, une raison plus limitées que celles d’un individu adulte "normal", il dit que leurs intérêts comptent aussi parce qu'ils sont sensibles, et que les intérêts des animaux comptent pour la même raison, parce qu’eux aussi sont des êtres sensibles. Quand il exprime cela, ses détracteurs se scandalisent : « Dire que l'on peut comparer un nourrisson humain ou un handicapé mental à un animal, cela veut dire qu'on peut les traiter comme des animaux ! Tant qu’on y est, pourquoi ne pas les mettre dans des cages et les abattre comme des animaux ? ».

Singer n’appelle pas à une moindre protection des humains, mais à une plus grande protection de tous les êtres sensibles, y compris des humains. Il dit que ce qui compte avant tout n’est pas le caractère plus ou moins humain d’un individu, mais ce qu'il ressent, et que cela concerne aussi en premier lieu les humains qui n'ont pas toutes les caractéristiques de l'image qu'on se fait de l'« humain normal » – image qui change d’ailleurs suivant les sociétés et les époques.

Si on regarde dans l'histoire, pourquoi est-ce que les nourrissons ont été opérés sans anesthésie ? Pourquoi a-t-on traité les handicapés mentaux, et même encore aujourd'hui, de manière si différente et bien souvent si néfaste pour leurs intérêts ? Pourquoi est-ce que les personnes séniles sont considérées dans certains cas comme des « sous-humains » ? C'est aussi parce que, dans une société qui a érigé la Raison comme valeur première, ces personnes-là ne sont pas considérées vraiment comme des humains à part entière, puisqu’elles ont des capacités moindres de rationalité, d'intelligence que les autres. On pourrait parler aussi du traitement infligé aux Juifs, aux Noirs ou à d’autres populations, dans l'histoire récente et encore trop souvent aujourd'hui. Comment expliquer aussi cela ? Etait-ce simplement que leur statut d’humain n’était pas assez reconnu ? Que l’humanisme n’était pas encore assez développé ? N’était-ce pas aussi tout simplement qu'on ne considérait pas comme très important ce qu'ils pouvaient ressentir, que ce soit leur souffrance ou leur volonté de vivre.

David Olivier : Je voudrais ajouter que Peter Singer a eu le grand mérite – pas que celui-là, mais il a eu au moins celui-ci – à partir de 1975, avec la publication de son livre Animal Liberation aux Etats-Unis et en Angleterre, de porter la question animale – la question du statut moral des animaux – dans le débat philosophique et éthique, et dans le débat culturel. De fait, ce débat s'est développé dans le monde anglo-saxon à partir de 1975. Il est apparu à partir de ce moment-là toute une série de courants différents parmi les personnes qui remettaient en cause le traitement traditionnel des animaux. Il y a des personnes qui sont plutôt partisanes de la théorie des droits, des personnes qui sont plutôt de tendance utilitariste, des personnes qui adhèrent à d'autres doctrines, des personnes qui ne savent pas très bien. C'est tout un ensemble de débats qui se sont développés dans les pays anglo-saxons.

Malheureusement, en France, ces débats-là sont beaucoup perçus comme étant une spécificité anglo-saxonne, comme si la recherche de la vérité et la recherche du bien dépendaient du fait de parler une langue d'origine anglo-saxonne ou d'origine latine. Il y a donc une disqualification en France par rapport à ce débat-là.

Nous avons la volonté ici de montrer que ce problème du statut des animaux se pose aussi à partir de pratiques « franco-françaises », comme celle du foie gras, par exemple. Ce problème se pose donc à toute personne qui se demande quel est le traitement juste qu'on doit avoir envers un autre être, c'est-à-dire la question éthique, la question de ce qui détermine le statut d'un être, si c’est simplement son appartenance à l'espèce humaine. On n’a pas éprouvé le besoin de faire allusion à Peter Singer par rapport à cela.

Le livre historique de Peter Singer, La Libération Animale, a été traduit en 1992 chez Grasset et je pense qu'il est encore disponible. Il y aborde, avec des arguments extrêmement simples, ces questions de la sensibilité, de la sensibilité comme fondement de l'éthique. C’est lui aussi qui a popularisé le terme de spécisme. Je pense donc que c'est une lecture importante. Peter Singer est aujourd’hui considéré comme un des philosophes les plus influents dans le monde anglo-saxon.

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Une question d'ordre informatif par rapport à la nourriture végétarienne : est-ce que c'est une nourriture équilibrée ?

David Olivier : Disons, sans rentrer dans un débat médical, qu'il est reconnu aujourd'hui que la viande n'est absolument pas nécessaire pour la santé, et que cela ne demande rien de très compliqué que d'être végétarien. C'est-à-dire qu’une personne qui se nourrit de façon un peu variée, sans spécialement compter ni les calories ni les grammes de protéines, peut facilement être végétarienne.

Par rapport au végétalisme, il y a un problème plus spécifique qui est la vitamine B12, qu’on n'obtient pas par l'alimentation végétale en France et dans les autres pays occidentaux. On doit donc prendre un supplément spécifique pour cela. Mais il y a beaucoup d'aliments qui sont supplémentés en vitamine B12. Ce n’est donc pas du tout un problème insurmontable ou qui compliquerait la vie.

Il y a encore aujourd'hui en France un petit retard d'information par rapport à cela, mais qui est en train de se combler de manière assez accélérée.

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Quel est votre avis personnel sur la direction dans laquelle se dirige la cause animale ? Est-ce plutôt vers un mouvement philosophique, la question des droits des animaux, ou plutôt, comme on peut le voir en Angleterre ou dans d'autres pays, vers un développement du militantisme et une montée de la violence ?

David Olivier : Je ne vais pas faire de prédictions. Constatons qu’en France, il n’y a pas eu beaucoup d'actions illégales. Dans d'autres pays, il y en a plus effectivement. Des actions souvent montées en épingles, où on en vient à qualifier les défenseurs des animaux du terme « animal terrorists », terme que l’on entendra, je pense, de plus en plus souvent. Notons que c'est un terrorisme qui jusqu'à présent a fait zéro mort. Si tous les terroristes du monde tuaient zéro personne, le problème se poserait un peu différemment.

Maintenant, à part cette question de la violence, il y a la question des actions illégales. Et puis, il y a bien d'autres façons pour un mouvement de faire entrer le débat dans la société. Je suis partisan du fait que la question animale rentre dans la société par tous les pores. Un bon exemple par rapport cela est le féminisme. Le féminisme, à une époque, était une grande question sociale, qui est aujourd'hui beaucoup retombée, pas que pour des raisons négatives d’ailleurs, car il y a des concepts féministes qui sont rentrés dans les moeurs. Mais d'un autre côté, il y a eu un repli du féminisme, ou plutôt du militantisme en général, qui fait que le féminisme dans un sens plus radical est un discours qui n'est plus entendu dans la société.

En tout cas, à une époque, c'était un mouvement plus large : un mouvement, c'est quelque chose de pluriel, c'est quelque chose qui touche les cercles universitaires, qui touche aussi n'importe qui, des personnes qui se posent des questions pratiques de tous les jours, dans leurs rapports avec les autres.

Par rapport à la question animale, c'est évidemment quelque chose qui touche tous les niveaux de la réflexion, de nombreux domaines, comme par exemple l'anthropologie. C'est quelque chose qui est extrêmement marqué par la question du rapport humains-animaux. La paléontologie se définit en grande partie par la question : « Quel était le premier humain ? ». Pourtant, depuis Darwin, on devrait savoir que c'est une question qui n'a pas de sens ! Comme si on voulait savoir absolument quelle est la frontière humains-animaux !

Les frontières entre ethnologie – ou disons anthropologie – et éthologie – l'étude du comportement animal – c'est quelque chose qui est en train de devenir de plus en plus flou. On se rend compte là aussi qu'il y a une influence énorme de l'idéologie spéciste sur ce domaine d'étude.

Dans la biologie aussi, je pense que la position, qui a été très longtemps celle du biologiste sur la notion d'espèce – très imprégnée d’essentialisme – est une position qui, à la base, est en grande partie expliquée par des positions politiques.

Cela va peut-être paraître tiré par les cheveux, mais je pense que cela a même un impact sur la physique. Des questions fondamentales en physique, et des questions sur ce qu'est le statut de la connaissance, ont beaucoup à voir avec la notion d’« observateur » et, en physique, le concept d'observateur est un concept qui est devenu beaucoup plus central depuis le milieu du 19e siècle. Aujourd'hui, la physique standard, c'est la physique quantique, où le rôle de l'observateur est central, et qui dit observateur dit être sensible, et là aussi on retombe sur une problématique où la question animale est très centrale. Comme il y a une continuité entre les caractéristiques des divers individus à leurs divers stades de développement, et entre des entités et êtres sensibles et non-sensibles, on ne sait pas exactement où apparaît la sensibilité, et c’est aussi à la physique de participer à répondre à cette question-là, puisque la sensibilité fait bien partie de ce monde, donc de ce monde physique.

Vous voyez donc que la question du statut des animaux, c'est quelque chose de très profond dans la société, et personne en particulier ne peut avoir de monopole sur cette question. Je veux dire que ce n'est pas une question spécifique, ce n'est pas un petit problème dans un coin. C'est un problème central, profond, de ce qu'est le fait d'être au monde, un problème de politique et d'éthique.

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