« À un moment où il peut plus, nous, on envoie et c'est ça le choc du gavage ! »

Témoignage de M. Philippe Lapaque, ex-gaveur indépendant sous contrat avec Grimaud-Montfort, filiale d'Euralis.

Philippe Lapaque nous a contacté l'été dernier pour témoigner sur son activité passée de gaveur qu'il a cessée fin 2003. Il a travaillé sous contrat avec Euralis*, principal groupe français dans la production de foie gras. Nous sommes allés l'interviewer le 31 octobre dernier.

Dans une France qui produit 75% du foie gras mondial, qui cultive l'image d'une production traditionnelle et authentique, ce témoignage sur la réalité de la production contemporaine est un document unique et exceptionnel. Nous saluons le courage de M. Lapaque dans sa démarche.

Euralis fournit le foie gras pour la quasi totalité des marques de distributeur ainsi que sous ses propres marques : Montfort, Rougié, Bizac, Pierre Champion

Une nouvelle enquête révèle des images provenant de 3 salles de gavage sous contrat avec Euralis. Elles ont été tournées en France en 2008.

Vous pouvez regarder 30 minutes d'interview ci-dessus ou bien regarder celle-ci par morceau à la suite.

  • Acte I - Présentation.

    M. Philippe Lapaque a travaillé avec Grimaud-Montfort (GMD), filiale de la coopérative Euralis près de Pau. Il a signé un contrat avec GMD en avril 2002 et a commencé son activité de gaveur en janvier 2003. Il a mis sa société en sommeil fin 2003 suite à de nombreux problèmes rencontrés avec GMD. Philippe Lapaque produisait sous IGP « Canard à foie gras du Sud Ouest ».

    -> J'ai travaillé pour Grimaud-Montfort.


  • Acte II - Comment devient-on gaveur ? Quel type de contrat aviez-vous avec Grimaud-Montfort ?

    Une visite à la foire expo gras de Mont-de-Marsan, un préposé de chez Grimaud-Montfort vient très vite après à la maison et c'est parti. « Grimaud-Montfort s'occupe de tout, vous lui montrez le terrain susceptible d'accueillir une salle de gavage et ensuite c'est un système clef en main qui prend la suite. » P.L. était sous contrat d'intégration, c'est à dire qu'on lui fournissait les canards à gaver ainsi que la farine pour la confection de la pâtée. Une fois les travaux commencés, en moins de 3 mois, le bâtiment de gavage est sur pied. P.L. a donné quelques coups de main à d'autres gaveurs puis un technicien de Grimaud-Montfort l'a assisté pendant les 5-6 premiers gavages. « Il faut faire en sorte que ça se passe bien, ce qui n'est pas toujours le cas d'ailleurs. »

    -> On apprend sur le tas.


  • Acte III - Cages individuelles et mise en cage des canards.

    P.L. avait une salle de gavage de 968 cages individuelles. A l'arrivée, les canards « prêt-à-gaver » (PAG) sont 7 dans leur cage de transport, 13 jours plus tard, ils repartiront pour l'abattoir dans ces mêmes cages, il n'y aura pas assez de place pour en faire rentrer plus de 4… Au début, certains canards arrivent tant bien que mal à se retourner puis rapidement ils sont bloqués dans leur cage.

    -> Des cages individuelles serrées au maximum.


  • Acte IV - La traçabilité.

    P.L. explique que les canards prêt-à-gaver proviennent généralement de deux élevages différents. Dans ces conditions, il est difficile de maintenir une vraie traçabilité ; les canards ne sont pas identifiés individuellement (comme c'est le cas pour les bovins par exemple), le chargement des canards pour l'abattoir se fait manifestement en vrac, le déchargement à l'abattoir idem. Pourtant Grimaud-Montfort arrive à compter combien de canards sont morts en salle de gavage en identifiant précisément l'origine de l'élevage des canards « prêt-à-gaver »… « ils en sont capables, mais c'est impossible ».

    -> La magie de Grimaud-Montfort.


  • Acte V - Premiers gavages, premiers éclatements…

    P.L. nous explique qu'il faut se battre avec les canards qui cherchent à fuir l'enfoncement de l'embuc. Coincés dans leur cage, l'issu du combat est facile à deviner. « On n'ose pas trop enfoncer, on ne veut pas le tuer quand même ». La machine à gaver envoie la dose même si le jabot est saturé, il faut donc que le gaveur ait le réflexe d'appuyer sur un bouton situé sur l'embuc pour limiter la dose, mais il arrive que des jabots éclatent. Que fait-on dans ces cas-là ? P.L. nous explique.

    -> Des jabots qui éclatent.


  • Acte VI - Le choc du gavage.

    Les doses de nourriture ingérées de force dans l'estomac des canards sont progressives, de 200 et quelques grammes au départ à presque un kilo par gavage à la fin. La filière foie gras argumente généralement sur le processus naturel du gavage ; les oiseaux migrateurs font des réserves avant d'entamer un long voyage. P.L. a un tout autre discours : « au bout d'un moment, le foie est à son stade où il n'en peut plus, il faut qu'il s'en aille là pour la migration, et nous, c'est à partir de là qu'on insiste. » Les canards sont rendus malades, affalés, ils halètent et ils n'en peuvent plus.

    -> le canard est malade.


  • Acte VII - Poids des canards et poids des foies.

    En IGP « Canard à foie gras du Sud Ouest », le poids des canards « prêt-à-gaver » est de 3,8 kg. Quand ils repartent, ils pèsent entre 7 et 8,5 kg, c'est quasiment du quitte ou double. Pour les foies, on passe de 100 g jusque 500-600 g et exceptionnellement jusque 1 kg. Imaginez la place qu'il reste pour les autres organes, un si gros foie dans un petit abdomen, P.L. parle de compression des poumons et des intestins qui peut mener à un blocage où le canard ne peut plus évacuer. L'INRA n'explique pas la surmortalité en gavage, M. Lapaque a des pistes à proposer…

    -> C'est une souffrance silencieuse mais réelle.


  • Acte VIII - Les maladies des canards livrés à M. Lapaque.

    Bien que sous IGP « Canard à foie gras du Sud Ouest » et donc un engagement à gaver des canards sains, Grimaud-Montfort envoyait des canards déjà malades à P.L. Parmi les différentes pathologies, des canards pouvaient souffrir de coryza, de diarrhées, de candidose et parfois la seule solution proposée par le vétérinaire, c'était le traitement par antibiotique… La candidose est un champignon qui peut se propager très rapidement suite à une inflammation de l'œsophage provoquée par le passage de l'embuc qui passe d'un canard à l'autre… La candidose rend le jabot « cartonneux » et favorise les phénomènes d'éclatement.

    -> Parmi les traitements vétérinaires, les antibiotiques en cours de gavage.


  • Acte IX - La maladie de Derszy, Grimaud-Montfort savait.

    P.L. recevait également des canards atteints par la maladie de Derszy. C'est une maladie qui touche la croissance des oiseaux et qui se manifeste par des animaux rachitiques au bec court. La réponse de Grimaud-Montfort à P.L. a été : « Monsieur, c'est ça ou c'est rien ». P.L dispose de différents documents qui prouvent que le groupe était au courant qu'il envoyait des canards malades de Derszy au gavage. P.L. a fait constater l'état des animaux sur un lot à l'arrivée dans son élevage par un vétérinaire accompagné d'un huissier, bilan : 132 canards présentaient des anomalies sur 968, becs courts et petits becs, syndrome de la maladie de Derszy, ailes cassées et la possibilité d'autres maladies.

    -> L'aboutissement des canards atteints de Derszy, c'est la salle de gavage.


  • Acte X - Epilogue

    Tradition et authenticité sont les deux mamelles du foie gras… il y a les beaux parleurs et la réalité du terrain. À vous de juger.

    -> J'ai même vu des canards se défendre.